Une approche …
I - Histoire de la chimie et histoire de la biochimie ...
S’il existe un nombre non négligeable de livres sur l’histoire de la chimie dans sa généralité, que ce soit du niveau recherche ou du niveau vulgarisation, il n’existe, à ma connaissance, aucune monographie de facture réellement historique intitulé « Histoire de la biochimie », que ce soit en français ou en anglais[1] …Un certain nombre de raisons peuvent expliquer cette différence.
1 - La biochimie est une discipline qui, par son nom même, dérive de la chimie. Ses concepts de base sont en fait ceux de la chimie et la biochimie, en tant que biologie moléculaire, serait vue, ainsi, et quelque soit la spécificité de son champ, non pas comme une discipline à part entière, mais comme une des branches émergentes de la chimie. Ainsi nombre d’ouvrages sur l’histoire de la chimie se terminent par un ou plusieurs chapitres consacrés à la biochimie en tant qu’une des pistes de développement de cette discipline. De même, dans un autre registre, les laboratoires de recherche de chimie (et les écoles d’ingénieurs, chimistes ou non) investissent largement le champ de la biochimie, en tant que chimie du vivant et terra incognita, donc à explorer (retour à l’esprit Far-West ?). A ceci, on pourrait objecter que la biochimie s’est différenciée de la chimie par la mise au point d’instruments adaptés à la spécificité de l’objet d’étude et par la manière dont elle les traite ; dans ce sens, la biochimie a pris son indépendance et ne saurait être confondue avec la chimie.
Avenir de la chimie pour les chimistes, la biochimie l’est également pour les biologistes : elle figure en bonne place des histoires de la biologie[2], c'est-à-dire dans les pages consacrées aux derniers développements de la biologie, les développements les plus prometteurs, ceux porteurs d’avenir …
En ce sens, la biochimie n’est que la version modernisée et moderniste de la chimie, pour certains, ou de la biologie, pour d’autres, et ne saurait avoir d’existence autonome : il ne saurait y en avoir une histoire propre.
2 –A partir du début du XXe siècle[3], les développements marquants de la biochimie sont le fait :
* de scientifiques issus de cultures notablement différentes : les chimistes, les médecins et, seulement après, les biologistes ; ce n’est qu’après la seconde guerre mondiale que s’est constitué réellement (institutionnellement), dans certains pays, le groupe des biochimistes ; celui-ci s’est scindé[4] lors de l’apparition de la (nouvelle) biologie moléculaire dans les années 70 ; ceci a été le début d’un éclatement disciplinaire et rares doivent être actuellement les chercheurs qui se reconnaissent sous le vocable de biochimistes,
* d’institutions et sociétés de types différents (publiques/ privées, académiques/ industrielles),
* de thématiques de départ très différentes,
* de différents pays.
L’objet d’étude de l’histoire de la biochimie ne laisse donc pas apparaitre, au moins au début de son développement et du fait de son émiettement, cette continuité conceptuelle qui plait tant aux tenants de la seule prise en compte des facteurs internes dans le développement d’une discipline. Longtemps, seule une continuité conceptuelle (épistémologie internaliste) a autorisé l’écriture d’ouvrages académiques ou même de vulgarisation. La situation a changé avec l’apparition de domaines et de sous domaines de la biochimie et la création de grands pôles de recherche au sein desquels la continuité conceptuelle apparaissait mieux. De plus, la prise en compte des facteurs externes dans le développement d’une discipline (épistémologie externaliste) a permis de positiver cet émiettement des connaissances issues de lieux et structures institutionnelles différentes : il ne s’agit plus d’obstacles à un rapport sérieux de la manière dont se sont élaborées les connaissances scientifiques mais d’objets d’études positives centrées sur telle institution, telle découverte, tel sous domaine … sans que pour autant une étude globale touchant tout le champ de la biochimie soit jugée possible
3 – La discipline « biochimie » a été longue à se mettre en place pour traiter des structures les plus complexes car elle a dû développer des outils en rapport avec son objet ; elle s’est avérée mature après la seconde guerre mondiale avec la détermination des structures primaires des protéines. La simple accumulation de ces structures montra vite cependant ses limites. C’est aux alentours des années 1970 qu’un renouveau se produisit avec l’apparition des structures tridimensionnelles, d’un côté, et de la (nouvelle) biologie moléculaire. Cette dernière a donné naissance à de nouveaux domaines de recherche avec, entre autres, la génomique, la protéomique, la post- génomique. Devant la complexité des méthodologies mises en œuvre, de leur évolution très rapide, d’une bibliographie surabondante, pour les dernières décennies, seuls ceux qui ont été directement impliqués dans ces travaux peuvent avoir le recul nécessaire pour en reconstituer et caractériser les principales étapes de l’évolution. Ainsi un chercheur ne pourra publier qu’une synthèse au niveau d’un domaine[5] (ou sous domaine) de cette biochimie / biologie moléculaire désormais éclatée. Ainsi de telles synthèses constituent des « Review » développées ; elles peuvent être considérées comme des ouvrages historiques, au sens commun, du fait de la rapide obsolescence des connaissances présentées et de leur approche, en général, internaliste ; il leur manque le recul nécessaire pour prétendre au statut historique complet caractérisé par une approche externaliste.
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Une approche …
II - Articuler l'histoire de la biochimie
autour de "temps forts" ...
C’est donc être bien imprudent, si ce n’est impertinent, que de prétendre présenter un développement sur l’histoire de la biochimie dans son ensemble ….Mais, quitte à passer pour un Don Quichotte, tel sera quand même notre propos… Celui-ci s’adresse à des élèves et / ou étudiants en biologie (technique) niveau L2 afin de leur faire comprendre l’origine culturelle des concepts et des techniques qu’ils sont amenés à étudier et à mettre en œuvre[1]. Il s’agit d’un savoir qui fait largement défaut, au niveau des programmes officiels, dans le système éducatif français.
Il serait cependant faux de dire que les références historiques seront absentes des manuels. Alors que dans certains manuels anciens de biochimie (générale) un chapitre est consacré à l’histoire de la discipline (LEHNINGER, Biochimie, 1970 : un appendice de quelques pages rappelait les principales dates de l’histoire de la biochimie ; l’ouvrage Franco Québécois : un premier chapitre sur l’histoire de la biochimie), dans les ouvrages récents, les références historiques (biographies des découvreurs et contexte de cette découverte) se trouvent au sein des divers chapitres sous forme d’encadrés. Il s’agit d’un savoir purement analytique, le plus souvent sans perspective historique[2].
Compte tenu de ce qui vient d’être dit, comment donc aborder cette histoire de la biochimie ?
Même si aucun ouvrage n’a envisagé une « histoire de la biochimie », nombreux sont donc les articles au sein de publications spécialisées et les monographies (principalement anglo-saxonnes) traitant de l’apport aux connaissances de biochimie :
de tel ou tel scientifique, ceci sous forme de mémoires du chercheur, Nobel lectures (le cas échéant), compte-rendu de symposiums, volumes spéciaux d’ouvrages à publication annuelle, de notices nécrologiques de revues ou ouvrages issus de colloques organisés in memoriam, …)
de telle ou telle personne ayant influencé les programmes de recherche : les « patrons », …),
de tel ou tel centre de recherche (instituts publics ou privés),
de la mise la point et l’évolution de telle ou telle technique, … .
De plus, sont également publiées es qualité des synthèses (histoires ?) de domaines disciplinaires qui tendent à se détacher de la biochimie.
Toute cette littérature constitue un important corpus et il serait dommage de ne pas s’y référer, en particulier dans un esprit externaliste, lors d’une approche de l’histoire de la biochimie.
Pourquoi, alors, dans un esprit de synthèse, ne pas articuler cette histoire de la biochimie autour de quelques « temps forts » caractérisés, selon le cas, par tel ou tel événement historique, biographique, épistémologique ? Cet événement sera identifié par son caractère fédérateur des divers aspects de l’activité de la communauté des biochimistes durant une période donnée : il peut s’agir selon le cas d’une intuition scientifique, de la mise au point et de l’utilisation d’une technique, des travaux d’un savant et de ses successeurs, d’un fait politique, de la reconnaissance de l’apparition d’un nouveau domaine de recherche…. En tous cas, c’est ce que la discipline a montré de plus remarquable, de plus représentatif à un moment donné.
Il s’agit là d’une sorte de reconstruction de l’histoire qui intègre tous les aspects de la démarche scientifique : les aspects internes de la démarche scientifique ainsi que les aspects (facteurs externes) tels que les techniques, l’économique, la politique, le social, etc. dont l’influence est trop souvent négligée.
[1] L’importance et la nécessité d’un enseignement de l’histoire des sciences et des techniques sera développé autre part.
[2] Une mention spéciale pour l’ouvrage de Guy DURLIAT, Biochimie structurale, Diderot Editeurs, Paris, 1997, ISBN 2-84352-002-9
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