(page 5) Souvent, l’existence d’une histoire de la chimie est évidente comme celle d’autres disciplines, ceci parce que le monde des « matières » scolaires est cloisonné, façonné à l’image de la classification d’Auguste COMTE.
On prend pour acquis ce qui a été une conquête : absente dans les antiques programmes scolaires, elle se taille une bonne place au milieu du XVIIème siècle (académies, universités et public éclairés). Au XIXème siècle il s’agit d’une science de pointe, image même du progrès. Comment s’et elle constituée ?
La réponse est la même pour toutes les histoires de la chimie : naissance par dégagement de la gangue des savoir-faire archaïques (page 6) et des savoirs occultes. La date est variables selon les auteurs, leurs cultures et leur pays d’origine : ainsi le « père de la chimie » est :
Ernst Georg STAHL (1660 – 1734) pour certains,
LAVOISIER (1743 – 1794) pour d’autres,
Robert BOYLE au XVIIème siècle.
Toutes les histoires distinguent un âge préscientifique et un âge scientifique avec des récits hauts en couleur comme celui de Ferdinand HOEFER [1842 – 1843] dans la lignée des chimistes écrivant l’histoire de la chimie comme Thomas THOMSON [1830 – 1831], Herman KOPP [1843 – 1847], Adolphe WURTZ [1869], Albert LADENBURG [1879], Marcelin BERTHELOT [1890], Edward THORPE [1902], Pierre (page 7) DUHEM [1902], Ida FREUND [1904],Wilhelm OSTWALD [1906] ; il s’agissait d’un récit manifestant une science sûre d’elle-même, de son identité comme de ses succès.
Plus récemment, François JACOB, Richard FREYMAN, Ilya PRIGOGINE ont pratiqué ce même genre de récit. Mais, en chimie, l’innovation présente n’appelle plus un regain d’intérêt pour l’histoire. Comme si le passé de la chimie ne pouvait plus être réactivé par son présent. Actuellement, cette histoire est écrite par des historiens professionnels et la découpe magistrale en deux périodes n’a pas résisté aux analyses minutieuses de textes et de documents – cours, correspondances, manuscrits, cahiers et instruments de la laboratoire. Finies les certitudes tranquilles sur les origines de la chimie, sur sa date de naissance, sur sa nature et sur sa philosophie … l’historiographie a certes éclairé, enrichi notre perception du local, mais en sacrifiant une vision globale de la chimie mais les grandes fresques semblent vouées à la caricature.
….
Est-ce bien raisonnable, dans ces conditions, de tenter de reconstruire une vision d’ensemble de la discipline, depuis « les temps les plus reculés » jusqu’à nos jours ? Reprendre ce genre traditionnel, suivre l’émergence d’une discipline, n’est ce pas entretenir l’illusion qu’il existe quelque part dans la nature un territoire bien délimité d’abord investi de ténébreuses spéculations en attendant que viennent des savants éclairés pour déchiffre ses lois et son fonctionnement ?
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Comment alors envisager une histoire de la chimie ? Par où commencer ? Faut-il partir :
* de (page 8) la transmission des savoirs pratiques ? il faut alors remonter à la préhistoire, aux premiers hommes qui firent du feu, aux premiers procédés de teinture, de fermentation, première pharmacopées …
* des premiers éléments du savoir raisonné ? il faut alors remonter aux présocratiques, et aux philosophes de la matière qui tentèrent de penser la substance et ses transformations
* de l’articulation entre expérience et théorie ? il faut alors remonter à l’alchimie
* de la chimie identifiée comme science ? le XVIIème siècle s’impose …
La définition courante actuelle de la chimie comme la science des transformations d la matière amène à considérer comme préhistoire la population d’alchimistes, parfumeurs, métallurgistes philosophes ou teinturiers ayant consacré leur vie à cette tâche… Si on refuse ceci, quel sera alors qui seront les personnages de ce récit ?
Toutes les difficultés renvoient en écho à la même interrogation lancinante : qu’est ce que la chimie ? Cela n’indique-t-il pas que la question de l’identité de la chimie peut conduire la narration ? On peut envisager cette science comme le produit d’une histoire : au lieu de dire la chimie a une histoire … on admettait qu’elle est une histoire ?
Cette histoire ressemblerait moins à la marche triomphale d’une science sûre d’elle-même qu’à une longue suite de péripéties dans une science hantée par la question de sa nature à partir de questionnements tels que la chimie est-elle :
- science ou bien art ?
- savoir discursif ou ensemble plus ou moins cohérent de savoir-faire ?
- système autonome ou système autonome ou bien corps de doctrines dont le cerveau, la raison, manque ?
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(page 9)Servante, maîtresse ou rivale de ses voisines, la physique et la biologie, la chimie n’en finit pas de redéfinir son identité et sa place dans l’encyclopédie
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C’est une quête d’identité que nous proposons ici comme fil directeur.
La chimie présente une singularité dans la définition de son territoire : il s’agit d’un savoir aux multiples visages, d’une science qui traverse l’inerte et le vivant, le macroscopique et le microscopique.
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Les concepts et les méthodes de la chimie forment des noeuds et des carrefours entre espaces hétérogènes parce qu’ils tenaient des lieux stratégiques mais disputés, les chimistes n’ont cessé de défendre l’autonomie et la rationalité spécifique de leur science.
L’histoire n’est pas neutre. Il s’agit d’une science vieille et jeune : héritière de techniques archaïque, elle produit des matériaux ultramodernes.
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On voit parfois fleurir les récits présentant la chimie comme le lieu, par définition anonyme, où se formule la réponse à des besoins immémoriaux : recherche de nouveau matériaux, production de médicaments …(page 10) Les intérêts de la chimie sont ceux de l’Homo sapiens. L’histoire que nous allons raconter est donc déjà investie par les interrogations des chimistes sur leur identité.
Ainsi vaut-il la peine de réactiver le genre traditionnel d’une histoire de la chimie, par delà les histoires locales – monographiques ou limitées à une période. … seule une histoire globale, en longue durée, permet de comprendre toutes ces aventures intellectuelles ou industrielles, qui ont pour un moment assigné à la chimie un visage, une identité. … De même que l’historien de la Méditerranée invente, grâce à la duré, un espace à la fois physique et humain, inaccessible aux différents acteurs et voyageurs, de même l’historien de la chimie peut espérer dessiner un espace propre [BRAUDEL, 1977].
Ce projet commande l’organisation générale du livre :
A chacune des figures de la discipline correspond un profil de chimistes :
1ère partie : alchimistes (médecins, métallurgistes, mystiques, … mais aussi des sceptiques et des rationalistes
2ème partie : physiciens et médecins (académiciens, démonstrateurs qui diffusent le savoir par des expériences publiques)
3ème partie : professeurs de chimie
4ème partie : chimistes-entrepreneurs (inventeurs heureux ou malheureux, ingénieurs)la chimie,
5ème partie : chimiste de service travaillant en recherche et production ; diaspora des chimistes
On veut également cerner la position de la chimie dans l’ensemble du savoir et de la culture. Dès le début la position dans la géographie des avoirs se joue en conjuguant trois registres qu’il faut sans cesse articuler : pratiques instrumentales, métiers institutions.
(page 12)
Des chimistes sélectionnés parce qu’ils ont dessiné – voir incarné – une identité de la chimie par leur pratique, par leur découverte, ou par leur enseignement, ils ont, à un moment donné, transformé les perspectives, créé ou annulé des interdits, autorisé ou condamné des espoirs, confirmé ou balayé des promesses. Pas de production d’une galerie de portraits, montrant comme une suite de génies individuels a pu contribuer à bâtir pierre par pierre l’édifice de la chimie moderne mais dégager, autant que leur contributions positives, ce qu’ils excluent ou laissent de côté, ce qu’ils ne peuvent comprendre ni penser.. Car il s’agit de mettre en relief les problèmes (page 13) et les programmes sans lesquels leur travail, leurs ambitions et leurs combats perdraient toute signification.
Faut-il pour autant faire une histoire des doctrines, des théories et des concepts ?…
Oui, car la chimie n’est pas seulement un catalogue de recettes empiriques, c’est aussi la production de systèmes théoriques cohérents. Mais on s’interdit de présenter un catalogue de doctrines chimiques désincarnées, abstraites de leur milieu.
A travers de la figure de tel ou tel chimiste, c’est un collectif que l’on cherche à dégager, défini non seulement par ses ancrages institutionnels, mais aussi par sa participation à un corpus théorique et par un ensemble de pratiques communes de laboratoire et de lagage qui traduisent en elles mêmes le corps à corps des chimistes avec la multiplicité des processus matériels, l’invention des pouvoirs de dire et de prédire, la nécessité sans cesse reconduite de d’apprendre et de négocier. Ce que l’on tente de mettre en avant ici ce sont des pratiques d’investigation – stratégie de recherche , outillages mentaux et expérimentaux – qui mobilisent aussi bien des chimistes, des concepts, des doctrines que des instruments de laboratoire, des matières, des processus , des institutions, des cours et des crédits.
Programmes et traditions de recherche
Résistance aux innovations conceptuelles
Derrière chaque vérité, on découvre des mécanismes de mobilisation, des réseaux d’alliances et des processus de sélection.
(page 14)
Du fait ait du choix fait (pratiques d’investigation) est privilégiée la finalité cognitive de la chimie au détriment de ses finalités productives…
……
Dans la partie IV il sera question de l’évolution de la production chimique …montrer les relations qui existent entre le triomphe des chimistes dans le monde agricole et industriel et le statut scientifique, culturel et social de la chimie au XIXème et au XXème siècle
……
« Tout étudiant en chimie, devant n’importe quel manuel, devrait être conscient que, dans une de ses pages, peut être même dans une seule ligne, une seule formule, un seul mot, son avenir est (page 15) écrit en caractères indéchiffrables » [Primo LEVI 1975 p 267 Le système périodique 1987]
L’industrie chimique se distingue des autres industries par la prégnance de cette logique matérielle (la carrière de chaque chimiste est liée à une formule ou à une molécule, de même chaque industrie est pari sur une substance.
La chimie définit des rapports très spécifiques entre l’homme et la matière : ni domination, ni soumission, mais une perpétuelle négociation – par alliance ou corps à corps – entre des singularités.
Tome premier (1866)
Dédicace
Préface
Coup d’œil général sur le progrès de la science
Première époque
Première section. Depuis les premiers temps historiques jusqu’à Thalès (620 ans avant J.-C.)
Extrême Orient, Chinois et Japonai
Indiens (Aryas)
Egyptiens – Phéniciens - Hébreux
Deuxième section. De 640 avant J.-C. au IIIème siècle après J.-C. (jusqu’à l’école d’Alexandrie) - Antiquité gréco-romaine
1 - Partie théorique – Systèmes des philosophes de la Grèce
2 - Partie pratique
Deuxième époque
Depuis le IXème siècle jusqu’au XVIe siècle
Alchimie
Deuxième section.
Première section. Du IXe au XIIe siècle
Chimistes arabes
Deuxième section .Du VIIIe siècle jusqu’au commencement du XVIe siècle
Appendice
Tome deuxième (1869)
Première section. XVIe siècle
I - Chémiatrie (chimie appliquée à la médecine)
II – Chimie métallurgique
III – Chimie technique
IV – Alchimistes
Deuxième section. XVIIe siècle
V – Chimie pharmaceutique
Chimie des gaz
Chimie technique
Chimie métallurgique
Alchimie
Troisième section. Coup d’œil général
Etat de la chimie depuis Lavoisier jusqu’à Gay-Lussac et Thénard
Fin de la table des matières du tome deuxième.
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L'histoire secrète des guerres biologiques
Mensonges et crimes d'Etat
Patrick Berche
Robert Laffont, Paris, 2009, ISBN 2-221-11214-4
TABLE
1 – Le choc des mondes
2 – Le rêve de Jenner
3 – Les premiers pas
4 – Fort Detrick
5 – L’unité 731
6 – Les secrets contre l’immunité
7 – Le cocktail diabolique
8 – Biopreparat
9 – L’apartheid aux abois
10 – L’Irak de Saddam Hussein
11 – La menace bioterroriste
12 – America under attack
Epilogue
Notes
Sigles et acronymes
Glossaire
Bibiographie
Remerciements
Histoire de la chimie
Bernadette Bensaude-Vincent, Isabelle Stengers
La Découverte, Paris, 1992, ISBN 2-7071-2192-4
Résumé du prologue
Longtemps écrite par des chimistes qui écrivent un récit manifestant une science sûre d’elle-même, de son identité comme de ses succès, actuellement, cette histoire est écrite par des historiens professionnels qui montrent qu’il n’existe pas de territoire bien délimité d’abord investi de ténébreuses spéculations en attendant que viennent des savants éclairés pour déchiffre ses lois et son fonctionnement.
Seule la question de l’identité de la chimie peut conduire la narration. L’histoire de la chimie n’est qu’une longue suite de péripéties dans une science hantée par la question de sa nature.
A travers de la figure de tel ou tel chimiste, c’est un collectif que l’on cherche à dégager, défini non seulement par ses ancrages institutionnels, mais aussi par sa participation à un corpus théorique et par un ensemble de pratiques communes de laboratoire et de lagage qui traduisent en elles mêmes le corps à corps des chimistes avec la multiplicité des processus matériels, l’invention des pouvoirs de dire et de prédire, la nécessité sans cesse reconduite de d’apprendre et de négocier. Ce que l’on tente de mettre en avant ici ce sont des pratiques d’investigation – stratégie de recherche , outillages mentaux et expérimentaux – qui mobilisent aussi bien des chimistes, des concepts, des doctrines que des instruments de laboratoire, des matières, des processus , des institutions, des cours et des crédits.
Des notes de lecture sont disponibleds
PLAN
Prologue
I - Des origines
1 – L’héritage d’Alexandrie
2 - De l'alchimie arabe à l'alchimie chrétienne
3 - Une tradition en crise
4 - Science du mixte ou des corpuscules ?
5 – L’atome sans qualité
6 - Pour en finir aves les origines
II - La conquête d’un territoire
7 - Révolution
8 – La question 31
9 - Les sels : rapports et déplacements
10 – Principes : éléments de instruments
11 – Une passion de fou
12 – Le rêve newtonien
13 – La chasse aux airs
14 – Une révolution en balance
III – Une science de professeurs
15 – Un métier enfin respecté
16 – L’analyse, un programme mobilisateur
17 - L’analyse face aux atomes
18 – La substitution, nœud des controverses
19 - Réorganiser la chimie
20 – Ecrire des synthèses
21 – Construire des molécules
IV – L’expansion industrielle
22 – Chimie lourde : de Leblanc à Solvay
23 – Les défis de l’azote
24 - La bataille des colorants
25 – La course aux matériaux
V – Le démembrement du territoire
26 – Quelle histoire pour la chimie ?
27 – Quelle chimie pour le vivant ?
28 - Quelle physique pour la chimie ?
29 - De la chimie des éléments à la physique des noyaux
30 – Des atomes à l’atome
31 – Science déduite, science réduite
32 – Une science sans territoire ?
Epilogue
Nomenclature
Bibliographie
Index des personnes